Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/363

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— Son Altesse est servie.

C’était la voix d’Eugène.


J’ignore si chez tous les grands de la terre l’étiquette a les mêmes règles, mais ce que je sais et puis dire, c’est que, à Saint-Gratien, celle qui présidait aux repas exposait les convives de l’hôtesse impériale à s’en retourner chez eux l’estomac vide. Ce n’était pas, je me hâte de le dire, qu’on y fît maigre chère, et loin de là ; nulle table ne fut jamais mieux servie, de toutes manières, et les agapes eussent été des « fêtes de gueule » si on avait eu le temps d’en savourer les merveilles culinaires. Or, on ne l’avait pas, voilà tout.

— Il y a dix ans, disait Edmond de Goncourt, qu’une fois par semaine, je dîne chez la princesse, et pas encore une fois je n’ai mangé chez elle.

Le rite officiel, en effet, voulait que tous les plats lui fussent présentés d’abord, servis de même, et enlevés enfin de devant elle dès qu’elle les délaissait visiblement. C’était aussi le signal de la desserte circulaire pour tout le monde. Les valets raflaient les assiettes, quelque nez qu’ils fissent d’ailleurs, aux invités. Comme on porte ou dépose les armes tous ensemble, ainsi faisait-on des fourchettes, militairement, et c’était Eugène qui commandait l’exercice.

— Si tu veux dîner, m’avait prescrit Théophile Gautier, mets-toi dans les petits papiers d’Eugène.

Le conseil était d’un sage et d’un père.

Placé à la droite de la princesse, il ne me fut pas difficile de constater qu’elle ne mangeait pour ainsi dire pas. À peine trempa-t-elle la cuiller dans le