Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/382

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même autant que Racine et Boileau dont le lexique est pourtant si sommaire. Son « petit nègre » se composait d’une trentaine de vocables précis et sans images, concordant aux principaux besoins de la vie animale, mais d’une âpreté d’expression que le bon ton récuse. Quand il avait faim, par exemple, il le donnait aisément à entendre par le verbe à peine déformé de : mangir, et tout allait bien, même devant les dames. Mais s’il s’agissait du contraire, il seyait de se boucher les oreilles à la crudité du terme que le dictionnaire mettait à son service.

Ce n’était pas tolérable. Il y fallait au moins un peu de métaphore. Les filles du maître se concertèrent donc pour lui en fournir une décente et orientale, qu’il pourrait employer dans le monde, lorsqu’il y serait invité,

— En Occident, vois-tu, lui dirent-elles, le mieux est de ne pas dire où l’on va, et d’y aller sans saluer, à l’anglaise. Mais quand on est forcé d’expliquer sa sortie, on ouvre son éventail, on sourit et l’on jette négligemment : « Je vais m’égarer dans les bosquets. »

Pour en finir avec Tin-tun-ling, je cessai de le voir et même de le recevoir après mon mariage. Je n’avais pas sur le vol-commerce les idées clémentes de mon maître, et ce mandarin ne fit rien pour m’y rallier, au contraire. Tout ce que je pus concéder à la grande philosophie du King, ou Ta-hio, fut de ne pas consulter la somnambule sur la disparition d’une bague enrichie de perles mise dans la corbeille de la fiancée par Arsène Houssaye, et que j’eusse plus que probablement retrouvée aux doigts de l’une ou de l’autre des deux guenons de ce singe binube.