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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/394

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Adolphe Bazin était l’un de ces archers du rire, assis sur les remparts de la ville, qui ne manquent pas leur Philistin dans la plaine. Mais, comme la plupart des railleurs, il avait l’âme sensible et profondément humaine. Le revers du véritable esprit, c’est la bonté.

Je me rappelle qu’un soir, devant le Café Anglais, je rencontrai Adolphe Gaiffe, qui me demanda des nouvelles de Rodolpho.

— Je ne le vois plus, me dit-il ; qu’est-ce qu’il devient ?

— Ma foi, lui dis-je, j’allais vous le demander. Il doit être à Spa ou à Monte-Carlo en train de faire le coup de poing avec la Fortune. Quelle malheureuse passion il a là, ajoutai-je en levant les épaules.

— D’abord, sourit Gaiffe, en fait de passions, il les pratique toutes, et délibérément, n’en doutez pas, mais, d’être meilleur, il n’y en a pas sur la terre. Saviez-vous qu’il fût marié ?

— Qui, Rodolpho ? Vous vous payez ma tête ?

— Non pas… Êtes-vous allé le voir quelquefois dans son galetas de la rue de l’Arbre-Sec, au huitième ?

— Il n’a jamais voulu.

— Parbleu ! Il y a recueilli une malheureuse créature, sa voisine de palier, plus âgée que lui de dix ans, et mère de deux marmots sans origine connue, qui gagne exactement onze sous par jour à parfiler de l’or pour des vêtements d’église. Onze sous, vous dis-je. Alors… il l’a épousée, cet imbécile !

— À cause des gosses ?

— On le dit. Et la voilà propriétaire.

— Comment, propriétaire ?