Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/421

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fois, vous dis-je, avant de condamner une école où des hommes tels que Stendhal et Musset se sont enchantés et qui nous a laissé un Guillaume Tell et un Barbier de Séville, deux francs chefs-d’œuvre.

J’ai sous les yeux, en écrivant ces lignes, un exécrable petit portrait de Judith Grisi, l’aînée des deux sœurs — elle l’était de sept ans — où le barbouilleur paraît avoir au moins atteint à quelque ressemblance. Avec ses grands yeux bleus pensifs, sa bouche au dessin voluptueux, son nez allongé, sa chevelure brune, Judith est comme l’esquisse de cette admirable Julia, l’une des plus belles créatures de son temps, et l’idéal de cette Milanaise dont Léonard de Vinci a fixé le type en sa Joconde. Mais si l’avantage de la ligne est à la cadette, celui du rayonnement intellectuel revient à la première. La comparaison suffit à expliquer la préférence des musicographes contemporains pour l’artiste passionnée, brûlante, disent-ils, qui ne fit du reste que traverser la scène italienne.

Après une brève apparition à Paris, en 1832, Judith Grisi retourna en Italie, s’y maria et mourut, à trente-cinq ans. Elle avait épousé un grand seigneur milanais, fort beau et plus riche encore, le comte Barni, ce même comte Barni que, quelque temps encore avant la guerre de 1870, on pouvait voir sur les boulevards user à la fois son vieux veuvage fidèle, et le reste de sa fortune dissipée. Il est constant que le bon bohème Rodolpho, dont je vous ai parlé, lui fut un guide précieux et expert dans ses navigations sur notre mer d’asphalte et qu’il le pilota dans tous ses ports. J’aurai dit tout ce que je sais de cet aimable gentilhomme transalpin lorsque j’aurai