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M. Adolphe Brisson, gendre de Sarcey lui-même. Je pense qu’un numéro de ce recueil doit coûter bon sur le marché du papier noirci, car il avait maigre clientèle, en dépit de l’activité de son chef de rédaction et de l’entregent de son fondateur. On sait que Moïse Millaud a été quelque chose comme le Parmentier de cette presse à un sou qui, en éclairant la masse électorale, a peut-être fondé la République.

Le Journal littéraire n’était pas à un sou, il fallait bel et bien débourser ses quinze centimes pour se payer le régal des fantaisies d’Eugène Chavette, qui en était le plat de résistance. Francisque Sarcey, Beauceron et normalien, adorait ce Chavette, l’auteur du Guillotiné par persuasion, et l’ancêtre des humoristes du Chat-Noir. Il bourrait son papier de sa copie exhilarante et il me le posa tout de suite en modèle.

— Apporte-moi, me disait-il, un nouveau Procès Pictompin ou simplement un autre Rôtisseur dans l’embarras, et je te fais ta fortune.

Mais je m’y essayais sans réussir, ni à son gré ni au mien, du reste, et tout se termina par l’insertion de quelque poésie, élégie, sonnet ou ode, pris dans le paquet renvoyé par Buloz.

— Ah ça ! mais, s’écria-t-il un jour, en me jaugeant de la tête aux pieds, mais tu n’es pas gai du tout, toi, malgré ton nez en vrille. Qu’est-ce que tu fais donc de tes vingt-deux ans ? Est-ce que vous êtes tous comme ça, dans ta promotion, à Charlemagne ? Ah ! per Jovem et per Minervam ! Parions que tu ne sais pas danser ?

Et sur l’aveu que j’en fis, il me convia à l’aller rejoindre, le dimanche venant, au pont de Chatou,