Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/73

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Après quelques éloges, en exorde, des qualités indéniables du poète de Rolla, Émile Deschanel s’attaque à ses faiblesses, et voilà le nez qui se dresse :

— Non, monsieur, non, Alfred de Musset n’a pas de défaillances. Il est impeccable et parfait. Ou vous ne l’avez pas lu, ou vous n’y entendez goutte. D’ailleurs, il n’a pas chanté pour les pions !

Et le nez de se rasseoir.

Interloqué par l’apostrophe, le conférencier s’était avancé sur l’estrade et il demandait à qui il avait affaire.

— À Mardoche, fut la réponse altière.

— Chacun son crâne, cingla Deschanel.

Yes, poor Yorick ! sonna Déroulède.

Oh ! cette conférence aux Capucines ! Les antagonistes avaient à part égale le don de répartie et le vieil universitaire, proscrit au Deux-Décembre, était ferme, en chaire, sur ses ergots. Il vit le nez et dit :

— Je ne comptais point parler ici devant des rhinocéros en furie.

— C’est le public des… vaisseaux du désert, fut la réplique, moins la métaphore.

Et les inséparables hurlèrent de joie, — tels de futurs nationalistes, — autour de la verte redingote. Le professeur leva la séance et s’en fut. Musset était vainqueur. Nous remontâmes les boulevards en chantant L’Andalouse au sein bruni, si l’on peut appeler chant le nasillement le plus discordant que l’organe sternutatoire ait jamais fait entendre sur la terre à des oreilles humaines écorchées.

Il est certain que le poète des Chants du Soldat n’est pas musicien pour un sou, et que, dans l’art du rossignol, sa faiblesse est considérable. De là sa