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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/80

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je l’ai encore, sous verre, à côté de La Folie persécutrice. Ils y dorment, comme dans ma mémoire, inséparables.

Plusieurs de mes amis qui, Dieu merci, restent toujours vifs et vainqueurs du temps, Armand d’Artois, bibliothécaire de la Mazarine, Maurice Dreyfous, qui devint éditeur, Albert Bizouard, chef de bureau à la Préfecture, tous poètes, ont gardé le souvenir de ce logis bourgeois, rothschildement orné de glaces, de tapis, de chaises, d’un canapé même, voire d’un voltaire à oreillettes, et où le passage du train de ceinture faisait carillonner une batterie de cuisine digne de Riquet à la Houppe.

— C’est trop cossu, chez toi, médisait d’Artois, ça donne envie de se marier !

Il y eut là, outre des balthasars à un seul plat dont chacun de nous, à tour de rôle, exécutait le thème gastronomique, des soirées littéraires dansantes où l’éternel féminin nous était posé, d’après nature, par tous les modèles du prototype. Nous n’avions pas la bohème lacrymatoire et murgérienne, les musettes et les mimis ternoises étant de ces braves amoureuses qui, lorsqu’il n’y en a plus, en demandent encore. Le camarade Albert Bizouard excellait à débaucher les plus vertueuses des devoirs austères de la machine à coudre. À l’heure sidérale du berger, toutes se destinaient au théâtre, et nous leur promettions des rôles pour le jour, imminent et fatal, où les directeurs, échelonnés dans l’escalier, nous recevraient, à l’encan, nos pièces.

Je crois dire que cette façon de mettre en œuvre l’Introduction à la Vie Dévote n’était guère du goût des autres locataires de l’immeuble. Nos bals lyri-