Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/90

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rue déserte, à l’heure de nuit qu’il sonnait, ce n’était peut-être pas très rassurant, et je me préparais à toute aventure, lorsque s’étant débarrassé de sa capote, il se mit à tirer le fiacre par les roues jusqu’au bord du mur comme s’il s’apprêtait à le remorquer. Puis il se hissa sur le faîte qu’il enjamba et disparut dans le jardin. Mon chien hurlait furieusement, n’ayant reconnu de l’olfact aucun des familiers « de la caverne ». Et tout à coup la porte du clos fut ouverte.

— J’ai un peu fourragé la treille, fit-il, mais elle est au proprio, n’est-ce pas, et par conséquent je m’en fous. Mais les orties sont à vous et vous en faites la culture en grand, d’après ce que je vois, dans votre potager. Tenez ? Et il me montra ses mains boursouflées d’ampoules. — Puis, il ajouta : Vous savez que ça se guérit comme la gale, oui, par une compresse de trois-six, sans coton, sur l’estomac. On a toujours de ça chez soi, confrère, c’est le breuvage de la Muse.

— Il se trouve que j’en manque pour le moment, et, l’introduisant dans le salon qui nous servait de cuisine, ou si l’on veut, dans la cuisine qui nous servait de salon, voici du bouillon gras, lui dis-je, reste d’un pot-au-feu de famille, qui n’en doit rien à la science de M. Liebig ; c’est à la fois toute ma cave et tout mon garde-manger. Trinquons. — À qui ? — J’allais vous le demander.

Il baissa la tête, puis, après un silence : — Tenez, pas de phrases, combien devez-vous de termes à votre canaille de propriétaire ?

— Mais… c’est lui qui m’en doit ! relevai-je avec fierté. Du reste, vous voyez, il a de quoi me faire