Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/113

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s’avivait chaque soir au foyer du théâtre où j’avais, ainsi que dans la salle, mes entrées. Je savais par cœur mon Aventurière, j’aurais pu souffler Gabrielle, tous les effets de Got dans Maître Guérin m’étaient familiers comme les attitudes de la messe et j’en aurais remontré à un Émile Mas sur la documentation, la mise en scène, le jeu des divers interprètes de ce répertoire, alors fondamental, de la boîte éducatrice, mais je n’en avais jamais vu l’auteur.

Émile Augier se montrait peu d’ailleurs, même au théâtre, et personne ne s’est jamais moins prodigué à la badauderie parisienne. Il vivait dans ses idées sur un fonds assez restreint de philosophie bourgeoise que lui limitait le génie de Molière, et dont le libéralisme juste-milieu est celui des poètes comiques. À la fois conservateur et frondeur, zélateur des progrès lents, tempérés par les mœurs et conduits par le Temps, il ne volait que du vol voltairien, entre ciel et terre, sans grand bruit d’ailes, mais sûrement mieux en flèche qu’en oiseau. C’est le bon tempérament de théâtre chez nous. Il gage la réussite. L’art dramatique en France est, en dépit de ses reconnaissances à travers le maquis des lois, circonscrit par le territoire illimité de l’Empire du Lieu Commun qui y entretient une gendarmerie universelle. Aussi jamais une pièce, satirique ou tragique, n’a-t-elle sérieusement gêné un tyran. Il ne brûle que le livre. Louis XIV autorise le Tartuffe et poursuit Port-Royal. Quoi qu’on en enseigne en Sorbonne, il y a plus à craindre d’un Contrat Social pour un despote que d’un Mariage de Figaro. Il semble que, dans une salle, l’opposition se désagrège d’elle-même du fait du nombre et de la diversité des opposants assem-