Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/114

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blés. Dans tous les comices, la voix du Peuple n’est que celle de l’opportunisme, jurisprudence de la moyenne, et c’est au suffrage de cette moyenne que l’auteur dramatique, comme le député, doit atteindre.

Émile Augier y a presque toujours atteint. Quel que fût le thème, social, moral, politique, artistique aussi, auquel il s’entreprenait, il l’attaquait à la baïonnette, selon la vertu ethnique, d’après les règles traditionnelles, à la française. Il n’était pas de ceux qui bondissent par-dessus leur siècle, au risque de se casser les reins, pour approcher l’avenir dans son char rayonnant attelé de chimères. Pour voir juste il voyait court. Il exprimait exactement la génération lasse de rêves déçus, éprise de bien-être, au pessimisme doux qu’incarnait son maître, le beau joueur flegmatique du Deux-Décembre. Du haut de son cinquième de la place des Pyramides, le Molière du règne pouvait le voir à son bureau des Tuileries écrire ou dicter cette Vie de César qui, selon un mot du boulevard, se passait de commentaires, ou bien, dans le jardin réservé, escorter à petits pas la voiture de chèvres où l’héritier de la dynastie souriait au soleil d’Austerlitz à travers le marronnier du Vingt Mars.

— Mon oncle dîne dimanche à la maison, m’avait dit Paul Déroulède. Votre couvert sera mis. Ne manquez pas l’occasion de le voir de près, car il est rare, même chez nous.

Je connaissais par les portraits la ressemblance typique des deux poètes et j’imaginais aisément l’un d’après l’autre, mais le degré de similitude touchait au prodige. Même tête, même taille, même port, mêmes gestes et les voix pareilles à ne pas savoir à