Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/130

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— Bon ? Et pourquoi bon ? Où voyez-vous l’utilité de l’être ? À quoi bon cette bonté lui eût-elle servi pour arriver ? Certes, il ne fut jamais bon, puisqu’il est célèbre. Dans la mêlée humaine, la bonté, c’est le désarmement. Va-t-on au combat tout nu ? L’action par elle-même est méchante. Combien d’êtres et de choses faut-il déjà tuer pour vivre ? On écrase en marchant, on empoisonne en respirant. Le meurtre est dans le manger et le boire. Le baiser est à base de mort. À quel prix de férocité nécessaire devient-on riche ou glorieux ? Votre homme bon et célèbre sur combien de cadavres se couchait-il, le soir, sa journée faite ? De combien de ruines, le matin, sucrait-il son café au lait ? Bon, avez-vous dit, jamais, car c’est impossible. Inconscient peut-être, mais alors c’est sans intérêt, car il était bête.

Et si vous leur certifiez que, loin d’avoir été bête, il eut de l’esprit à en revendre, et que sa bonté pourtant est un fait indéniable, les jeunes avenireux secouent la tête, et, avec la tête, l’honneur de leurs précoces calvities, puis ils rient ceci :

— Vous nous transportez rétroactivement en des temps préadamites et quaternaires, et votre bonhomme d’esprit n’a pu être contemporain que du fabuleux ptérodactyle et du paléontologique acérothérium, car, à partir d’Adam le roux, l’homme bon n’est plus qu’un monstre.

C’est à ce moment qu’il peut être brave de s’aventurer à leur dire qu’on a connu ce monstre, et parfois je m’y risque encore.

J’en ai même connu plusieurs de monstres, et Dumas ne fut que le dernier en date : mais quand c’est lui que je leur nomme, je suis lapidé de sar-