Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/16

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comme en rêve, celle de se venger de Villemessant et de tomber son Figaro, dont il avait été longtemps l’administrateur. Je ne sais plus de quel grief était née leur querelle. Peut-être la création de la Lanterne de Rochefort, et surtout l’immense réussite du pamphlet n’y avaient-elles point été étrangères. Auguste Dumont en était l’éditeur. Toujours est-il que les deux associés s’étaient déclaré une guerre sans merci, que l’un soutenait de son esprit et l’autre de ses deniers, au grand régal de ce mail de province qu’était le boulevard.

Il y a toujours à Paris, et partout ailleurs, des malins pour profiter de telles discordes. L’axiome de Louis le Onzième : diviser pour régner, est l’un des principes infaillibles de l’arrivisme. Entre ceux qui, de la théorie faisaient passer la maxime à la pratique, nul ne damait le pion à un journaliste de Boulogne-sur-Mer, arrivé tout botté de sa ville et qui, en quatre tours sous nos « Quinconces », avait enlevé et mis dans sa poche toutes les clefs de la fortune. Il reste encore nombre de gens pour se souvenir de l’aventurier prodigieux de lettres qui, après s’être hissé à la force du poignet jusqu’à la chaise d’ivoire sénatoriale et s’être fait construire dans le Var un château princier dont il ne paya jamais une brique, est mort courtier d’affaires, il y a quelques années. La société moderne s’ouvre encore, paraît-il, à ces types de roman dont le dix-huitième siècle avait épuisé la race et le génie. Edmond Magnier en fut la preuve. Le Sage n’a rien prêté à son Gil Blas dont le journaliste boulonnais n’ait été capable ou coupable.

Il avait d’abord, flattant sa rancune, persuadé à