Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/178

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duisit dans cette magnanière de Villiers-sur-Marne où la pauvre Ernesta Grisi, détrônée par les sœurs du maître, élevait des vers à soie et des poules. Elle apprit en nous voyant qu’elle était grand’mère, et elle en oublia tous ses déboires. Quoique construite sur les plans de Charles Garnier lui-même, la maisonnette de Villiers-sur-Marne était d’une exiguïté de pavillon de garde-chasse. À moins de dresser un lit dans le jardin, elle n’offrait pas place pour trois couchettes et l’hospitalité ne pouvait y être que brève et transitoire. Aussi dès le lendemain étais-je rentré en ville, j’allais dire : en forêt, décidé à y arrêter des diligences.

Ce fut alors que je ressentis les effets de cet apaisement des choses et des gens qui est leur bienvenue solidaire à la paternité humaine. Explique qui voudra dans les sociétés âpres où nous vivons et les cruelles républiques d’affaires, l’attendrissement instinctif des bêtes féroces qui les composent devant le tigre hardi en chasse pour sa portée. Les mains les plus scellées se détendent, les faces les plus rébarbatives se dilatent et les événements mêmes se combinent en chance pour favoriser l’effort de l’homme qui présente un nouveau martyr à la douleur universelle. Peut-être sommes-nous meilleurs que nous croyons et surtout que nous disons l’être.

En retournant pour la dernière fois rue Rousselet prendre mes lettres, j’en trouvai deux fort inattendues qui ne pouvaient être attribuables qu’à l’intercession de saint François de Sales auprès de la Providence. L’une d’elles me priait de passer boulevard Magenta chez un éditeur nommé Ludovic Baschet dont je n’avais jamais entendu parler et