Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acquisitions propres, et de simple ouvrier encadreur, il était parvenu, pas à pas d’abord, puis par enjambées, à la situation prépondérante qu’il occupait sur le marché des toiles. Il lui avait suffi d’opérer à temps sur les maîtres méconnus de 1830, Delacroix, Ingres, Decamps, Rousseau, Corot, Diaz, Daubigny, Troyon, Millet, toute cette pléiade splendide qui n’a d’égale en aucun temps et dans nul autre pays que le nôtre. — Dans la partie, me disait-il, la fortune c’est de croire. Il avait cru à la bonne heure et il avait emmagasiné rue Saint-Georges, toutes les pièces qu’il trouvait courantes sous ces signatures. Je puis dire, moi qui les y ai vues, qu’il en avait provende et trésor pour cent ans.

— Oui, des catalogues, m’expliquait-il, de beaux catalogues précieux illustrés d’eaux-fortes, richement imprimés, pièces d’art eux-mêmes, et ouverts par des pages de critique, que dis-je, d’exégèse, où vous pourrez lâcher la bride à votre cavalerie d’adjectifs caracolants. Votre beau-père en a créé le genre, et fixé le modèle. Paul de Saint-Victor l’a suivi, puis Paul Mantz, Charles Blanc, leurs émules et vous serez en bonne compagnie dans les bibliothèques, sans parler de la mienne qui vous est ouverte nuit et jour pour votre travail. Quant au salaire il sera variable selon l’importance des ventes. Permettez-moi de vous en offrir l’avant-goût sous cette enveloppe que vous n’aurez qu’à remettre en sortant au gros caissier de l’antichambre. — Et le Monselet, en effet, me remit l’avant-goût, un billet vénérable de mille. Je n’en avais jamais vu.

Oh ! Francis Petit, ce n’était pas un envoyé de François de Sales, c’était François de Sales lui-même.