Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/198

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comme une école de ballerines. Le village estompe au fond sa silhouette violâtre. Mais déjà Pierrette est levée, et tandis que sa vache dispute à la rosée l’herbe laitière et parfumée, elle rêve au bord de la mare avec des poses de naïade. On a de ces visions fuyantes par les baies de wagons en train express, mais, depuis la découverte de l’art de peindre, Corot seul a su les fixer.

Il n’y a pas de plus grand peintre que Jules Dupré quand il est heureux, et il l’est ici jusqu’à l’insolence. Les problèmes auxquels il s’est attaché dans cet effet d’automne sont les plus ardus du jeu de la lumière. Les gens du métier s’ébahiront de la sûreté avec laquelle il les a résolus. Quelle maîtrise vraiment en ce rayon qui se brise sur un ciel bouleversé, court sous les arbres, s’accroche au crépi de la chaumière, allume l’étoupe verte des gazons et s’éteint à vos pieds comme un clown infaillible salue après un tour de force.

Admirez-vous ce Georges Michel dit : « le peintre de Montmartre » que l’on égale aujourd’hui à Constable, ce en quoi on n’a pas tort, et dont le cabinet d’Ivan Tourgueneff vous présente deux pièces caractéristiques ? Par ordre de date au moins il fut le premier franc naturiste de l’École moderne, et l’aïeul des glorieux maîtres de 1830, puisque, né en 1765, il avait été, à vingt-six ans, l’un des vainqueurs de la Bastille. M. Alfred Sensier a reconstitué l’œuvre et la vie de ce Parigot extraordinaire qui n’a jamais peint que Montmartre, ou plutôt le mont Martre, au temps où la Butte n’était qu’une carrière de plâtre et s’éventait de quarante moulins plus hollandais que la Hollande. Georges Michel n’est mort qu’en 1843, dans sa quatre-vingtième année par conséquent ; et il a pu