Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/236

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Gouzien lui-même pour compagnon. Descriptions pittoresques en un trait, anecdotes en un mot, aperçus paradoxaux, fouettés d’une ellipse, observations philosophiquées à la parisienne par un sous-entendu, couleur, esprit, ah ! quel causeur ! J’étais sous le charme. Au bout d’une heure, de deux peut-être, il partit comme il était entré, rapide, après un shake-hand d’hercule, à briser les doigts. Mon cabinet en résonnait encore !…

— Est-ce ton Mormon ? demandai-je à Gouzien. — Sans doute. Comment le trouves-tu ? — Prodigieux et charmant. — N’est-ce pas ? Aussi est-il adoré de toutes ses femmes. — Est-ce qu’il les a amenées avec lui du Lac-Salé ?… À cette question, le bon Gouzien éclata de rire. — Rops ne s’est jamais ravitaillé au Lac-Salé, fit-il ; tous ses ménages sont parisiens. C’est ici qu’il les aime de front, austèrement, et qu’il pratique, selon la doctrine de Joseph Smith et de Brigham Young. Le dimanche, il les réunit, femmes et enfants, et il les mène à la campagne. Il n’y a pas de meilleur père de famille. — Si tu veux te payer ma tête, repris-je, sache que je suis beaucoup moins scandalisé que surpris de ce que tu me racontes. Qui n’est pas un peu Mormon, et plus ou moins, dans notre société incohérente ? Mais tu l’as appelé Rops ? Est-ce qu’il est le fils ou le neveu du célèbre Félicien Rops, l’aquafortiste ? — Malheureux, s’écria Gouzien, il est Félicien Rops lui-même, et il t’apportait des dessins pour ton canard.

Ce fut ainsi que ma pauvre Vie Moderne s’enrichit de la collaboration de ce puissant artiste. Il y a publié des pièces admirables. Mais que de fois, sa journée finie, à l’heure du repos, ne vint-il pas tailler