Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/243

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cialités de gueule et satisfaire ta gastrolâtrie d’archevêque ! — Mais non, je t’assure, c’est de la simple galantine bourgeoise, pas même truffée, à peine les pistaches requises, la tranche de douze sous que l’ouvrier mange sur un banc près de la wallace. Mais quelle heure est-il donc ? — Midi, je pense. — Diable, ne m’arrête pas, je déjeune chez ma fille, et, tu en témoigneras après ma mort, j’apporte mon plat !

Fait paradoxal, mais que j’atteste, Monselet gourmet illustre et classé auprès de Grimod de la Reynière et de Brillat-Savarin au Livre d’or de l’art de Carême, n’était rien moins que gastronome. Le sonnet du « Cochon » avait créé toute sa légende. Il avait refoulé à l’arrière-plan de sa réputation son œuvre considérable et multiple, poésies, romans, nouvelles, chroniques, études historiques et le reste où il y en a pour trente célébrités d’aujourd’hui. Bombardé par Villemessant, qui l’adorait, arbitre des joutes culinaires, son autorité faisait loi chez les maîtres traiteurs. Il fonctionnait sous cette pourpre boulevardière avec l’onction et la componction de sa compétence illusoire, quoiqu’il n’eût point distingué sans binocle, et de la langue seulement, un champignon d’une quenelle. De fait il ne s’entendait qu’aux choses du Livre, et nul ne fut plus doué du don de bouquinerie. Il n’aurait pas pu naître avant Gutenberg, Dieu ne l’aurait pas accordé à la nature, ni la nature à la société et, s’il y a une librairie au paradis, c’est là qu’il est, sinon je ne réponds pas de son salut. Pourtant il n’a vécu que sur la blague de son autorité gastrologique. C’est ainsi que Paris s’amuse.

Au banquet à deux louis par tête que les six cents fils de Victor Hugo lui offrirent au Continental en