Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/242

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Pour de l’argent. Tout le monde n’a pas comme Diderot une impératrice tartare pour vous nommer conservateur de votre propre bibliothèque.

En était-il donc là ? J’étais navré, je ne pus y tenir. — Viens, fis-je, et parlons bas, à cause des mouchards. Il y a un moyen d’en sortir. — Lequel ? — Et il est sûr. — Dis ? — Fais-toi bonapartiste ! — Tu crois ? — Tout le décrète. L’opposition est la base du système parlementaire. Oublie Sedan et tu as la Mazarine !

Le lendemain il vient à moi. — Eh bien ! lui dis-je. — Eh bien ! je n’ai encore pu oublier que le 2 décembre. Voilà ce que c’est que de se raser tous les matins. — Que veux-tu dire ? — En me levant aujourd’hui j’avais déjà le Morny confus et la barbe d’une aune. Tu sais qu’elle est blanche, un buisson neigeux ! Je me campe devant ma glace, et je dis à mon reflet : quel âge as-tu, reflet, comme dans les ballades ? Ce siècle avait vingt-cinq ans, me répond l’image. Bigre, fais-je ! Et je me barbifie. Et alors… — Alors ? Devine le Monselet que mon miroir me renvoie ? Le Monselet de vingt ans, printanier, sans lunettes, fidèle à ses croyances et fou de liberté, incorruptible enfin comme Robespierre, celui que tu as sous les yeux, regarde, trop jeune encore pour regretter l’Empire. — Et il vendit ses livres.

Quinze ou vingt jours après, sur l’avenue des Ternes où j’habitais, je l’aperçois de loin, plus lourd de démarche, mais toujours rose et rasé de frais, qui sortait d’une charcuterie. — Ah ! parbleu, je t’y prends, Lucullus, en foudroyant de l’index un carré de papier gras qu’il tenait à la main. Tu te lances dans les sites excentriques pour te fournir aux spé-