Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/249

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personne que j’y aperçus fut l’inquiétant Barbelion. Ses regards firent le tour de ma personne, et ils semblaient vouloir retourner mes poches. Si l’on pouvait dévêtir quelqu’un avec les yeux, je serais resté sans chemise. Je priai Vallès de nous présenter.

— Le citoyen Barbelion, mon ami et mon cuisinier. C’est lui qui est l’auteur de la soupe aux choux qui cuit en ce moment dans la marmite de l’exil.

Tout pour Vallès était « à l’exil », comme dans la pension Vautrin de Balzac, tout est « au rama ». Et comme j’allais féliciter Barbelion de ses talents culinaires, oh ! qui l’eût cru ou deviné ? Monselet sortit de la cuisine !…

— Je constate, fit-il, qu’il n’y a pas de sang dans la préparation des choux chez Vallès, et je le dirai à l’histoire.

Le dîner fut charmant, cordial, bruyant, français, et la soupe aux choux obtint tous les suffrages. Monselet était venu comme moi, à Londres, et avec beaucoup d’autres artistes et gens de lettres, pour assister aux représentations de Sarah Bernhardt. Vallès ne connaissait pas Sarah Bernhardt. Son impatience de la voir, de lui parler, de savoir « ce qu’elle avait dans le ventre » était si vive qu’il fallut lui promettre de le conduire chez elle, ou dans sa loge.

— Je lui taillerai un rôle de dompteuse, s’écriait-il. Elle aussi c’est une réfractaire. Elle a planté sa barricade dans les rues de l’art. Elle colle les bourgeois au mur !…

Il fallut l’arrêter, il allait trop loin. Barbelion ne participait pas à son enthousiasme. Barbelion était sombre. Il desservait les assiettes et les plats d’un