Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/261

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rouge, le bleu, le vert, le jaune et leurs composés, se flanquaient au soleil des tatouilles symphoniques à coucher au poste en plein carnaval. Faute d’un tailleur docile à son génie pittoresque, Paulin-Ménier se les taillait, cousait et brodait lui-même, sur des patrons qu’il avait dans l’âme, d’après les maîtres de la ligne et de la couleur. Il avait, d’ailleurs, été peintre, disait-on, et il en reste toujours quelque chose, ajoutait mon parent, comme de la fièvre typhoïde.

J’en étais demeuré à ce Paulin-Ménier excentrique de 1860, horrifieur et conculcateur de la gent épicière, qui charmait mon jeune romantisme, lorsqu’un soir, à Tortoni, devant la table familière où nous nous groupions autour d’Aurélien Scholl, je ne pus me tenir de lui demander qui était cet « habitué du fond », d’une correction de mise impeccable, qui, tous les jours, ganté, corseté, cravaté par les Grâces, venait faire sa libation solitaire à la Muse verte. — L’ambassadeur du Chili, me jeta-t-il à l’oreille. — Ah ! diable ! — Oui, tiens-toi bien, il vient ici moucharder nos modes parisiennes, et il envoie la description d’avance en Bolivie. — Tu disais : Chili ? — Eh bien ! c’est la même chose. Il cumule voilà tout. — Comment s’appelle-t-il ? — Demande-le à Stevens. En qualité de Belge, Stevens tutoie tous les plénipotentiaires. — Je renouvelai donc ma question à l’illustre peintre, qui venait d’entrer et accrochait son chapeau à la patère. — Venez-vous de Falaise, ou vous payez-vous ma tête ? C’est Paulin-Ménier. — Qui, ce gentleman de gravure de mode et même de dernière mode, ce cocodès tiré à quatre épingles, frisé au petit fer, dont le « yau de poêle » jetait les