Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/262

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mille feux réglementaires du chic, ce vieux « petit crevé », cuirassé d’amidon, blanc bordé de noir, comme une lettre de faire-part, lui, c’était lui, le chicocandard romantique de mon cousin le théâtrophile ? Mais le diplomate chilio-bolivien nous avait entendus ; à son nom il leva les yeux et salua deux fois, l’une pour Stevens, l’autre pour moi, et il n’y eut plus à douter de son entité. Une chère légende de plus s’écroula de mon château d’art.

Nous nous liâmes depuis lors, et nous faisions souvent ensemble, sur l’asphalte, les cinq cents pas de l’heure apéritive. Et quand je m’étonnais encore de son avatar : — Oui, me disait-il, en virevoltant du stick, c’est mon costume de décadence ! Je porte le deuil du boulevard.

Paulin-Ménier croyait au boulevard, et je n’ai connu qu’Albert Wolff qui y ait eu foi davantage. Ils y venaient tous les deux comme on va à la messe, et ils n’auraient pas dormi, s’ils n’en avaient entendu l’office, entre six et sept. Jusqu’en mai 1898, temps où il trépassa, à soixante-douze ans, d’ailleurs, le grand comédien y traîna chaque soir, croque-mort protestataire, son deuil philosophique de « la belle époque des gens d’esprit », au milieu des cafés fermés ou fermants, qui s’éteignaient les uns après les autres, comme les lampadaires d’un bal à l’aurore. Il s’en est allé à la bonne heure, soit avant d’être trop vieux pour enjamber des décombres, et sentant bien que son art même était passé.

— Je suis ridicule, disait-il ; je m’en rends compte, avec mon Choppard du Courrier, mon Rodin du Juif errant, et mes autres créations que, le croiriez-vous, je travaille encore. Paulin-Ménier, ah ! oui, le vieux