Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/28

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Schopenhauer qui donne à la volonté la clef du système organique du monde n’avait pas quatre prosélytes même chez ceux qui se piquaient un peu de métaphysique. Mais revenons à Carvalho.

De toutes les superstitions qu’il pratiquait couramment, la croyance au mauvais œil était en lui la plus invétérée. La jettature était sa loi. Au nom seul de celui ou de celle qui passait pour doué du pouvoir diabolique de jeter des sorts, il était pris d’une angoisse insurmontable, ses mains tremblaient, ses lèvres se serraient, ses yeux hagards cherchaient la porte et la fuite. On sait que le malheureux Jacques Offenbach subissait, sans qu’on ait jamais su pourquoi du reste, cette imputation de jettatore. S’il n’y en a pas de plus lâche, aucun autre ne s’impose avec plus de force, ne s’accrédite plus vite et Naples là-dessus en laisse aux boulevards. Vous n’auriez pas trouvé — vous ne trouveriez pas encore peut-être — un membre du Tout-Paris des premières qui n’ait à sa chaîne de montre, en breloque, la petite corne de corail qui sert à détourner le fascino et remplace à cet effet le priape amulette des dames romaines.

Carvalho n’avait pas de corne de corail. En fait de talisman, il remontait carrément aux origines et ne recourait qu’à l’attribut même du dieu des jardins.

C’était une joie d’Armand Silvestre, bon poète païen, de se payer le « geste antique » du fataliste. Nous montions fumer un cigare dans son cabinet directorial du Vaudeville, vers la fin du spectacle, à l’heure des gens de théâtre, et nous mettions la conversation sur la musique.

— Eh bien ! Carvalho, avez-vous enfin votre nouveau Faust ?