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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/281

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demandait si ma vue était bonne, si je n’avais pas des bluettes dans les yeux et il me conseillait de me faire impressionniste. — Peut-on voir ? disais-je en me rapprochant d’un chevalet couvert de sa housse. — Bas engore. Vumons d’abord une bibe. — Il allumait la sienne et procédait au raclage de sa palette.

Je mets en fait qu’on peut juger d’un peintre, ou tout au moins le connaître, rien qu’à le voir charger ou râcler sa palette. Celle d’Henner déjà toute pareille à ses tableaux, en étalait l’harmonie fluide et les tonalités simples. L’ocre d’or et le blanc d’argent y étageaient leurs monticules parallèles et coulaient en transparence dans la pente du vallon jusqu’au puits où le pouce se replie. Puis c’étaient les roux et les bruns, maintenus très nets hors du dosage des mélanges. Ensuite les deux bleus fondamentaux, cobalt et outremer, et enfin l’Etna du bitume. Quant aux brosses, plates et douces, deux ou trois, pas plus, et le couteau à palette. Nul autre attirail de sorcellerie et, avec cela, il repeuplait les étangs et les clairières de ces divinités exilées que pleurent les poètes, il nous rendait le bois sacré. Ah ! le divin évocateur !

Jean-Jacques Henner dispute au Titien, au Corrège et, si l’on veut, au Giorgione la maîtrise du corps de la femme, « qui tant est poli, souef et beau », dit Villon. Ils ont dit le dernier mot plastique de l’argile idéale, mais chez l’Alsacien cette argile est mêlée de nacre. Elle a la fraîcheur de l’origine symbolique qui la trempe dans l’écume irisée des eaux. Toutes les nymphes d’Henner sont vierges. C’est le troupeau des vestales de Diane qui ne vieillissent jamais, qui ne peuvent pas mourir et qui ne doivent pas aimer. Elles se rient des œgipans et des chèvre-