Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/282

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pieds mais encore plus des hommes peut-être, auxquels il ne leur reste rien à dire depuis qu’ils ont désappris la langue olympienne. Étendues sur le tapis des prairies, aux bords des fontaines qui les reflètent, sous le dôme profond des frondaisons, elles nous regardent courir, sourds, aveugles, convulsifs, à nos affaires, à nos querelles, et semblent se demander en quoi la vie moderne l’emporte sur la vie antique et ce que nous avons gagné au culte des dieux tristes.

Aussi sont-elles les saintes icônes et les lares domestiques des foyers où l’intellectualité garde ses droits. Henner les a généreusement multipliées, du reste. C’est par centaines que ses naïades et ses dryades aux chevelures dorées, aux carnations d’ambre accouraient des grottes et des futaies poser dans l’atelier de la place Pigalle, baignées dans le clair obscur qu’il y maintenait comme étant leur atmosphère propre. Et quand d’un geste prompt, presque d’escamoteur, il dévoilait celle du jour sur le chevalet, il jubilait comme un enfant du « coup qu’elle vous portait ». — « Hein ? faisait-il… » — Oui, j’ai connu un homme heureux.

Son œuvre, on le sait, se développe sur trois recherches, mais consacrées toutes trois à l’étude de la chair lumineuse de l’homme, soit dans un éclairage, soit dans un autre. D’abord, les sujets mythologiques, puis les scènes du poème évangélique, et enfin les portraits. Il en a peint de prodigieux, d’une vie magique, où l’art de Rembrandt dans les « Syndics » d’Amsterdam est certainement égalé. Lorsque le temps les aura patinés, rien ne tiendra dans les musées auprès de certaines effigies de vieilles dames