Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/48

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L’auteur des Va-nu-pieds était l’aîné de cette génération de formistes qui n’en laisse rien, soyez-en sûr, à la pléiade de Ronsard et chantera plus haut qu’elle peut-être dans l’histoire des lettres françaises, lorsque le temps sera venu de la vénérabilité pour elle. Il antécédait de trois ans notre robuste Léon Dierx qui est de 1838 et reste le dernier debout dans la clairière où tous les oiseaux posent sur lui. Sully-Prudhomme était de 1839 et aussi Albert Glatigny, le d’Assoucy du groupe. Ensuite venaient Catulle Mendès, Villiers de l’Isle-Adam et Alphonse Daudet, de 1840 tous les trois. Puis c’étaient François Coppée et José-Maria de Heredia, contemporains de 1842, et enfin Paul Verlaine, dont le berceau s’accroche à 1844.

Nul n’ignore que tous ou presque tous se groupaient autour de Leconte de Lisle, alors dans sa cinquante-sixième année, et qui partageait avec Théodore de Banville la lieutenance de cet autre Empereur à Sainte-Hélène, qu’on appelait le père Hugo, et qui en était revenu en grand-père.

Peut-être le temps m’a-t-il mis, à mon tour, aux yeux, les lunettes presbytes du vieillard d’Horace et subis-je la loi de mirage dont est fait l’attrait du passé, mais il me semble que rien encore n’est venu remplacer sous notre République affairée cet état-major des cent jours du débarqué de l’île anglaise. Je suis de ceux désormais pour qui la traversée des boulevards est mélancolique. De chers fantômes souriants m’y dansent aux coins des rues que l’on crève et haussmannise et sur les terrasses de cafés où j’attable parfois ma solitude je n’entends plus parler ma langue. Il est bien tard pour en apprendre une autre.