Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/49

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Les romans du bon Léon Cladel sont de ceux, assurément, où les curieux retrouveront les indices de cette joie d’écrire, comme on chante pour chanter au soleil, par la fenêtre, qui est l’idiosyncrase des recrues de Catulle. Il y a dans son œuvre, et notamment dans La Fête votive de Saint-Bartholomé Porte-Glaive — encore un titre de vente, n’est-ce pas ? — des morceaux de facture, exécutés pour le plaisir, qui vont de pair avec les plus belles pages de Gustave Flaubert, musclés de style, râblés d’images et d’un retentissement de verbe sans pareil. Barbey d’Aurevilly ne s’y trompait pas qui, lui aussi, rompit en plein Figaro une lance de gentilhomme, que dis-je, de connétable, au dos du communard cadurcien, pour le pur amour de la belle écriture.

Et ce fut à Léon Cladel encore qu’Alphonse Daudet voulut lire avant tout autre ce premier roman : Fromont jeune et Risler aîné, par lequel « il se jeta à la nage en pleine mer après avoir clapoté en rivière ». J’en parle sciemment, ayant été de cette lecture, hôtel Lamoignon, rue Pavée, au Marais. Elle dura jusqu’à l’aube et nous revînmes à pied, dans les premières lueurs, exaltés d’allégresse pour le livre délicieux dont allait s’enrichir la sainte littérature bénie.

— Tu sais, me criait-il, c’est plein, ça sonne, ça va d’un bout à l’autre, ça y est ! Ah le cochon !…

Bien des années après, à un déjeuner chez Sarah Bernhardt, l’hôtesse à la voix d’or me demanda si je connaissais Léon Cladel. — C’est un fou, me dit-elle, il doit l’être. Il m’a apporté une pièce dont le thème est ceci : un paysan qui se tue pour sauver son garçon de la conscription, afin qu’il soit fils de