Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/63

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L’aîné des légitimes, Claude Morel, dont je vous parlerai un jour ou l’autre, car il a eu une influence dominante sur mes goûts artistiques, ne me parlait encore de Thérèse qu’avec une vive émotion, et, à la mort de cette servante maîtresse, les vingt-quatre enfants continuèrent à se voir et à s’aimer en elle. Ce serait pourtant aller un peu loin peut-être que de l’introduire dans l’atavisme et ce n’est pas là de la vie dévote.

Le vieux Morel d’Annecy, l’aîné, ne se bornait point du reste à travailler pour l’Empereur et sa dynastie dans Versailles, ou, comme il le disait fièrement, à boucher les trous des boulets. Il est de tradition orale, la bonne, chez les miens, qu’il s’occupait aussi des arts de son temps et plus spécialement de celui de l’acrobatie. Si l’illustre Mme Saqui ne lui dut pas sa gloire, elle lui en dut l’aurore, qui dora sa corde à Versailles sous les auspices de l’expert et profès en beau sexe. Tout tend à prouver, si rien ne prouve, qu’elle lui témoigna de la reconnaissance, mais mon grand-oncle Claude Morel ne fut jamais pour moi très explicite à ce sujet, et de cette part du moins Thérèse n’eut personne à élever. Point de danseur ni de danseuse dans notre ancestralité maternelle. Il y a des jours où je m’en étonne, car le vers aussi est une corde raide.

Le père de ma grand’mère, Morel d’Annecy cadet, plus raisonnablement prolifique, ne chassait, lui, que sur sa chasse ; et il n’eut de bâtards qu’en rêve. Il avait épousé la fille d’une riche fermière de la Bauce qui possédait à elle seule la moitié de ce Hurepoix dont le nom transportait Théophile Gautier et lui remettait aux talons la démangeaison des voyages.