Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/74

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les Grecs devant les antres des sibylles. Rien de plus ridicule, évidemment, que cette aberration idolâtre de nos chefs de file, gens de tant de génie eux-mêmes, mais ils avaient communiqué leur démence à leurs disciples et, de ceux qui demeurent, aucun n’en a guéri. Il y a des folies professionnelles.

J’allais donc le voir, le monstre, entendre sa voix humaine, connaître son regard et son geste et le confronter avec l’image que je portais en moi du verbe fait homme ! Voici les notes que je pris le soir même en rentrant chez moi, et je me borne à les transcrire.

« Victor Hugo demeure au numéro vingt et un de la rue de Clichy, au troisième étage, en face du Skating Rink. Maison banale et bourgeoise. Lockroy et Mme Lockroy sont au-dessus avec Georges et Jeanne les petits-enfants immortels.

« Arrivons beaucoup trop tôt, d’une bonne demi-heure, ignorant l’heure du repas et les habitudes. Allons user cette demi-heure à traîner dans la rue, aux devantures à l’aventure… Il y a une modiste à la porte, puis un bric-à-brac, vieux meubles, bibelots, croûtes. Nous ne voyons rien, nous ne nous parlons pas. Très émus tous les deux, bêtes comme des parents de province le dimanche.

« Huit heures et demie. Remontons. — Sonne. — Non, toi. — Pourquoi ? — Je ne sais pas. — Tu as tiré le cordon trop fort. — Tu crois ? — On vient. On ouvre. — M. Victor Hugo ? — C’est ici. Débarrassez-vous. Madame est au salon. Qui dois-je annoncer ?

« Nous traversons la salle à manger où la table