Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/75

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est toute dressée, lampadaires, fleurs, beau service blanc, cossu mais simple. Puis le salon, il est tout petit, tendu de soie garance rayée de bandes grises. Tonalité harmonieuse, pas du tout théâtre, intime, vieux jeu, ici l’on cause. Une vieille dame à cheveux d’argent est assise, entourée déjà d’autres invités, — Tiens, Monselet ! — de familiers en habits. Toilettes. Les femmes sont décolletées. Il aime ça. Cette Madame du Deffand qui taille bavette dans un style de haute politesse française, c’est Juliette, la princesse Negroni de Lucrèce Borgia, l’amie historique, la compagne d’exil, l’autre témoin de la vie, Mme Drouet. Et Monselet fleurit la cravate blanche.

« Mais le voici. Lui… Ah ! mon Dieu !…

« Il est entré tout uniment par la porte, oui, par la porte, les mains dans les poches, en veston, à petits pas, le sourire aux yeux. Il est court de taille, ramassé, carré. On dirait d’un vieux capitaine au long cours retraité, d’un commodore. Est-ce là apparaître ? Ce n’est pas possible, il a accroché son nimbe à une patère de l’antichambre ? On ne se paie pas ainsi la tête des mortels. La mienne est béante. Mon V. H., ce bonhomme à la Béranger ! Relire Ovide et ses Métamorphoses.

« Il va droit aux dames, d’abord, et, avant de les reconnaître, il s’offre le régal céladonique de leur baiser la main, pêle-mêle, le long du bras jusqu’au pli du coude. C’est le protocole.

« Arrivé devant la seconde fille de Gautier, il la regarde longuement, profondément, comme à travers le temps. — Je ne vous connaissais pas, Madame. Pourquoi n’êtes-vous pas venue ? Les enfants