Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus gros et gras, le plus civilisé, un bourgeois, qui ait jamais dormi sur un tapis ou la robe de Mahomet ! Et je donnai congé de la chambre de Giselle.

Loin d’écarter nos amis du « piranèse » la présence de Carlotta Grisi, gloire de la chorégraphie française, nous les rendait plus assidus encore. Dans le groupe des peintres de la rue de Vaugirard, dont j’ai parlé au premier recueil de ces Souvenirs, celui qui nous était, entre tous, familier était Émile Pinchart à qui je m’étais attaché comme un frère. Je l’aimais pour son talent délicieux, pour l’avenir qui lui luisait aux yeux et pour son courage d’artiste invulnérable aux compromis qui donnent les succès faciles et nourriciers. Il ne nous fut pas difficile de deviner que, dès le premier jour, il avait jeté cœur et palette aux pieds de notre jolie cousine et hôtesse, Mlle Ernestine Grisi, et nous fûmes d’abord fort effrayés de cet arrêt des dieux. Mais ce ne sont pas les papes qui placent les Fornarinas sur le chemin des Raphaëls.

Ernestine tenait son charme de sa double origine italienne et polonaise, mais la Slave dominait en elle, caractérisée par une folle chevelure blonde dont les gerbes indociles ne semblaient obéir qu’à la carde du vent. Élevée tendrement par une mère idolâtre, à qui elle bornait le ciel, la terre et leurs dépendances, elle ne savait point où s’arrête le caprice, où finit la bonté, ni ce qui, dans la vie, sépare l’idéal du réel. Elle allait, ivre de sa jeunesse, et voilà tout, droit devant elle, comme les pieds nus sur le gazon dans la rosée.

Que cette enfant de la Péri devînt la femme du peintre encore inconnu et pauvre comme Job qu’é-