Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/95

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tait Émile Pinchart, il y avait peu d’apparences. Carlotta projetait pour elle quelque union plus princière et pouvait d’ailleurs la lui payer, car elle était plus que millionnaire, à en juger par le train de vie qu’elle menait à Genève. Mais elle était sous le talon rose de sa fille. Il advint ce qui était écrit, et il n’advient jamais autre chose. Convaincue par la preuve que nous lui en donnions, ma chère compagne et moi, que l’on peut être heureuse avec un simple artiste et mieux aimée que par un autre, elle accepta d’en fournir une preuve nouvelle, et la bonne Giselle n’eut qu’à regarder, ce soir-là, par sa lucarne, l’Apollon musagète de l’Opéra lever sa lyre flamboyante sur la Ville Lumière pour se souvenir et comprendre quel autre dieu, à l’arc invincible, l’avait amenée de chez les mômiers de Genève à notre grenier contagieux d’étudiants. Et le mariage fut conclu.

Il se compliquait d’une difficulté assez sérieuse, étant de celles que les lois hérissent devant les plus beaux romans d’amour. Il s’agissait de garantir à l’enfant bien-aimée l’héritage de sa mère, qui ne l’était que par la nature et par conséquent pour le bon Dieu, car ce n’est pas lui qui a inventé les maires ni leurs adjoints. Pour lui assurer cette succession, tant à elle qu’à sa descendance, il n’y avait qu’un moyen légal, l’adoption. Carlotta Grisi, née en 1821, avait atteint, et même dépassé, l’âge où le droit d’adopter est acquis aux cinquantenaires. Elle satisfaisait encore à la prescription d’avoir subvenu pendant six ans au moins aux besoins de l’adoptée sans interruption, et, dernière clause du Code, Ernestine était éclose à sa majorité. Mais il restait