Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/96

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ceci qu’elle était bien et dûment, pour le bon Dieu déjà nommé et la nature, sa complice, la propre fille de sa mère, — or, il importait qu’elle ne le fût à aucun prix.

Cas subtil. Pour le trancher, l’expédient est de recourir au choix bénévole d’un tuteur ad hoc, personnage de comédie juridique, qui vient jurer, grave ou non, que le de cujus, pour Cujas, n’est pas l’enfant de celle qui l’a mise au monde. Ce rôle ne pouvait être offert qu’à un poète. Je me prouvai tel en l’acceptant. Je vins donc chez les notaires, et là, traître à Vénus comme à Lucine, mais fidèle à Napoléon, je jurai que la jeune fille avait été trouvée dans un rosier, à la Guadeloupe, chez une dame de Saint-Hilaire, d’ailleurs aussitôt disparue, et que la célèbre danseuse l’y avait recueillie entre deux jetés-battus, du bout des pointes. Et je signai. Telle est la fonction de l’ad-hoc. À votre service. Je n’ai fait que ce faux dans ma vie, il est carabiné, mais je dois avoir une conscience abominable, car le remords qui m’en ravage m’a toujours laissé dormir à poings fermés, et je l’emporterai en paradis.

Et le mariage fut. Il eut lieu à l’église Saint-Eugène, paroisse du « piranèse », dont Raoul Pugno tenait les orgues à quatre pattes. Il nous inonda d’harmonies nuptiales. Le déjeuner de noces était offert par la mère (adoptive) de l’épousée, et ce fut chez Brébant qu’il développa ses fastes. Il m’incombait, honneur de l’ad hoquat, d’en régler la note. Elle était belle d’addition et même dépassait l’hypothèse. Lorsque je l’eus soldée, il me restait soixante-cinq centimes, qui font treize sous en toutes les langues, et il s’échelonnait, en vue de pourboire, six gar-