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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/119

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homme, aux traits d’Arabe, à la taille flexible de toréador, au geste rayonnant de force et de joie, qui semblait sortir d’un cadre de Vélasquez ou d’un drame de Calderon. C’est sur la foi de tels yeux de velours, d’un tel sourire, à la musique d’une telle voix, que les Chimènes se rendent aux Campéadors, sur le cadavre de leur père.

Il m’apportait son premier dessin de collaborateur, roulé d’ailleurs dans son mouchoir de poche, d’où tombèrent des gousses sèches de piments rouges qui lui faisaient emploi de cigarettes. Sous une houppelande de roulier, que je lui ai toujours vue, même en été, il était vêtu de sa blouse d’atelier et des pantalons larges qui y concordent, d’où il était aisé d’inférer qu’il n’attachait aucune importance à la toilette. Il n’en laissait, là-dessus, qu’au légendaire Henri Pille, autre artiste admirable d’ailleurs, pour qui l’endimanchement consistait à changer de chemise. L’Espagnol restait loin, toutefois, de son rival en inélégance, par le soin qu’il prenait de ses mains de duchesse, comme aussi d’une chaussure dont les Cendrillons andalouses lui eussent envié la pointure hyperbolique et romanesque.

— Je viens, me dit-il, d’acheter une guitare pour la rédaction.

Et il me tira, en effet, de sa peau d’ours, l’un de ces jambonneaux sonores à quatre cordes.

— Comment pour la rédaction ? béai-je.

— Mais, en Espagne, il n’y a pas de rédaction sans guitare. La guitare fait partie de l’outillage d’un journal. Je ne me représente pas qu’on puisse écrire sans pincer la séguedille entre deux phrases. Quand ce ne serait que pour éviter la crampe ?