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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/135

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Car ce fut Sarah Bernhardt qui mena la criée de notre pavillon. Elle aussi elle coopérait, comme Daniel Vierge, comme Charles Pillet et bien d’autres que je vais dire, non moins illustres et aussi désintéressés. Je ne sais pas si je m’abuse, mais il me semble que, dans le Paris nouveau, le plus entreprenant, voire le plus chançard, renouvellerait assez difficilement, sous Fallières, le prodige de ce journal légendaire.

Sarah Bernhardt qui, pendant la tournée de la Comédie-Française à Londres, venait de décrocher la grande timbale où elle boit encore, était dans le fort et le plein de sa querelle avec Émile Perrin, et si elle n’avait pas rompu, elle allait rompre les vœux qui l’enchaînaient à Molière. Nous l’avions soutenue de notre mieux, d’abord parce que nous étions jeunes et ensuite parce que, sous peine d’être illogiques, nous devions combattre pour l’art libre sous toutes les bannières. Notre titre même nous imposait cette attitude.

Idole déjà des intellectuels et de leur élite, elle les traînait tous à sa robe, non seulement par son charme de femme sans rival, mais encore par cette impatience d’activité, ce mépris des contingences, cet art de traverser en les crevant tous les cerceaux de la vie et sa légende déjà bruyante de Cléopâtre buveuse de perles. Comédienne en outre admirable, magnétique, peintre, statuaire, écrivain, omni-artiste si elle eût été musicienne, sa cour était formée de la plupart des écrivains, statuaires et peintres dont se composait ma double rédaction volante, de telle sorte, qu’à La Vie Moderne, elle pouvait se dire, comme elle s’y sentait, chez elle.