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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/138

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surgissait, un tambour tintinnabulant à la main, signé d’un maître ; de temps à autre, on lui passait une flûte à champagne, et de quel champagne, du champagne « coopératif », envoyé d’Épernay par l’excellent M. Mercier, pour la rédaction. Et la coupe de Venise, qu’elle avait aussi apportée, comme un fétiche, s’emplissait d’or et de bank-notes, tandis que la tour de la Giralda, reconstituée par l’un de nos confrères, sonnait à toute volée pour éteindre la voix de notre enchanteresse.

Je me souviens qu’ayant aperçu, dans la cohue, l’un de ses amis qui avait oublié de nous envoyer sa « peau d’âne illustrée », Sarah lui demanda sa carte. Puis, la brandissant comme le billet gagnant d’une loterie : « Bon pour une aquarelle authentique d’Édouard Detaille. En voici déjà la signature. Nous en demandons trois mille francs ». Et elle vendit la carte.

Vers les deux heures du matin, l’attraction des tambourins était épuisée et, ouvrant ses mains vides, Sarah Bernhardt nous questionna d’un geste. J’avais prévu ce froid et je m’étais mis en mesure d’y parer.

— Laissons passer les toreros, lui dis-je.

Il y avait, en effet, au programme du festival, un défilé tauromachique où figuraient quelques-unes des meilleures épées de l’Espagne : Lajartijo, El Gordito, Gonzalo Mora et le vieil Angel Pastor, en grands costumes de corrida, avec picadores, banderilleros et leurs mules. Quand ils arrivèrent devant notre posada, je fis un signe à Gonry qui déposa aux pieds de la vendeuse un sac de toile grise d’un aspect assez agricole.

— Sont-ce des pommes de terre ? clama-t-elle.