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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/141

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il lui chantera le souvenir de cette fête oubliée dans ses Mémoires, et qui sonne ses grelots à l’aurore de sa gloire.

Les illustres rivaux n’en menaient pas large, eux et leurs kiosques, dans l’Hippodrome. Nous pouvions estimer à près de vingt mille francs la somme contenue dans la coupe de Venise, et ce fut en effet celle qu’à la fin de la redoute La Vie Moderne put verser entre les mains de M. Jaluzot, président organisateur du gala. Il en resta béant, du reste, et d’autant plus écarquillé que nous nous étions fait escorter par Daniel Vierge, à qui nous devions sa bonne part dans la victoire. Le merveilleux artiste, un peu égayé par les toasts qu’il avait soutenus en l’honneur de la reine Isabelle, présente à la fête, n’avait pas lâché sa guitare, ni dévêtu sa houppelande, et pendant que l’administrateur, assez troublé lui-même, empilait les louis d’or et feuilletait les bank-notes, Vierge accompagnait le bruit de recette de cris gutturaux et rythmiques où feu Barème lui-même aurait perdu le sens hautain de sa comptabilité de bronze.

L’Hippodrome se vidait, l’heure était sonnée de baisser le rideau et d’aller dormir sur nos lauriers, Sarah Bernhardt, toujours rétive à la lassitude, s’était, pour la première fois en cinq heures, assise. Ses domestiques venaient reprendre les fourrures. Il ne restait pas deux cents personnes dans l’arène et sur les gradins. — Allons, bonsoir, bonjour plutôt. Êtes-vous contents ? sourit-elle en nous tendant les mains. — Si nous le sommes. Vingt mille de recette ! La Vie Moderne est lancée, claironna Zizi, et grâce à vous. Vive Sarah !…