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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/142

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— Et vous, me dit-elle ? Vous ne soufflez mot. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien, merci. Vive Sarah ! Vive…

— Non, parlez, je veux savoir, je veux toujours tout savoir.

Eh bien ! voici : il me reste une attraction pour compte : vous partez, elle est perdue. Mes pauvres mirlitons !

— Quels mirlitons ?

— Ceux que j’avais préparés pour la vente, les mirlitons des prosateurs. Il y en a qui sont dignes de La Rochefoucauld, de Vauvenargues, de Commerson, des plus grands penseurs. Et les voilà qui gisent, inachetés, inédits, inouïs, dans ce panier à vin de Champagne. Qu’est-ce qu’ils vont dire de moi, tous ces écrivains célèbres qui m’ont envoyé des adages, des maximes, des sentences de haute sagesse, dont j’ai fait enrubanner des roseaux sonores, que dis-je, des roseaux pensants ? Sarah Bernhardt n’en a que pour les peintres, alors ? Elle méprise les philosophes. Elle nous croit indignes de l’honneur des enchères. Ce n’est pas pour nous qu’elle exerce, avec le marteau de Charles Pillet cette puissance de séduction qui fait payer trois mille livres une carte de visite d’Édouard Detaille. Pauvres penseurs de La Vie Moderne ! Pauvres mirlitons ! Tenez, lisez, voici celui d’Alexandre Dumas : — « Il est plus facile d’être bon pour tout le monde que pour quelqu’un. » Et cet autre de Victorien Sardou : — « On ne fait pas l’éloge d’un confrère pour le grandir mais pour pouvoir dire d’un autre qu’il est plus petit ». Il faut donc encore priver la postérité de cette devise serpentueuse d’Edmond de Goncourt : — « On est dé-