Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/147

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tout, il font le reste eux-mêmes, parce que rien ne résiste à l’expansion libre du génie. Il ne faut que le libérer. Hélas ! Paris n’est pas cette Athènes antique où le rayonnement apollonien marquait les fronts d’élite de sa clarté flagrante et visible à tous. À la remontée du courant de ma vie, je marque d’un caillou d’albâtre les jours où, par un article à l’Officiel, je relevai le courage d’un Bastien-Lepage déçu du prix de Rome, — celui encore où un Auguste Rodin, inconnu et méconnu, put lire sous ma signature, au Voltaire, la « bonne aventure » d’une gloire où je n’étais pas grand sorcier, — et enfin, peut-être, les dieux aidant, la soirée historique où André Antoine mit le pied à l’étrier sur mon propre cheval de bataille. Ainsi n’ai-je pas entièrement perdu le temps que j’ai « fait » dans la critique.

Forain, dont le prénom est Louis, je crois, était assurément à une période dure de sa carrière. Il revenait de Londres où il avait « obtenu » au Graphic, un insuccès caractéristique. Les Anglais n’avaient rien compris à ce dessin abrégé, cinglant et dont le réalisme sans école est encore souligné par des détails de gestes et d’expressions impitoyables. Je ne sais pas du reste s’il les accentuait déjà de ces légendes amères qui en font claquer le coup de fouet et en corrodent les balafres. Mais il est probable que, ignorant la langue de Swift, il s’en tenait à l’esprit de l’image, de telle sorte que, Forain à Londres c’était quelque chose comme Ovide chez les Scythes.

Un Forain n’est possible qu’à Paris, et, comme il y naît, il y respire, non ailleurs. C’est l’enfant des Halles, le titi ethnique dont Guillaume Vadé est l’instituteur, et qui n’est pas mort avec Gavroche,