Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/155

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six heures du matin, et dessinée avec un morceau de charbon. Ça ne vous arrive pas, hein, dans votre partie, d’être sur pied à six heures du matin ?

— Moins souvent que de nous coucher à la même heure. Mais j’ai vu lever l’aurore. Émile de Girardin a dit que Paris est aux matineux. Je peux l’être tout comme un autre.

— Vrai ? si je sonnais un jour à votre porte à six heures du matin, je vous trouverais debout et habillé ?

— J’aurais même déjà fumé deux pipes.

— Nous verrons ça. Mais point de date, je veux vous surprendre.

Dès le lendemain, comme je m’y attendais, du reste, Vollon carillonnait à mon pavillon. Il était six heures et un quart. Il m’avait laissé le quart d’heure de grâce. Je l’espérais en tenue de ville. — Sacrebleu, fit-il, c’est pourtant vrai ! — Et je lus dans ses yeux que j’avais fait la conquête de ce travailleur.

— Ce n’est pas tout, repris-je, avez-vous déjeuné ? Non ? Venez.

Et l’ayant introduit dans la salle à manger, je découvris devant lui une soupière d’où se dégagea l’arôme et les benjoins d’une oignonnée « pour artistes ». — Elle mijote depuis trente minutes sur un feu doux, et voici, à côté d’elle, comme un chevalier auprès de sa dame, le flacon de bourgogne blanc auquel elle donne droit et d’office sur terre française.

Le peintre était tombé par le poète. Vollon en conçut pour moi, comme dit Alceste, une estime incroyable, dont il prodigua les marques à mon journal. Cette soupe à l’oignon, présentée, au chant du coq, à l’heure des maçons, valut à La Vie Moderne