Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connue ou devinable, car ses amis ne cherchaient point à en forcer l’accès et les marchands avaient renoncé à en tirer la sonnette sourde. Aucun homme ne se sera mieux soustrait à l’emprise des contingences, nul ne fut plus libre de sa vie, plus maître de ses heures, plus heureux.

Il était venu me voir à La Vie Moderne, de lui-même, en passant, sans présentation, par curiosité simple d’artiste, et m’avait apporté un dessin à reproduire, — une vue panoramique de la Seine pendant une débâcle — qui était admirable. Antoine Vollon ne se consolait pas de l’iniquité systématique par où on le spécialisait dans la nature morte. Pour un vrai peintre, ayant l’œil et la main, comme on l’était autrefois et comme il faudrait qu’on le fût encore, il n’y a pas de genres en peinture, et celui qui fait bien une cloyère de poissons, un panier de roses ou une corbeille de fruits, est apte à réussir une étude de nu, un portrait ou un paysage. Tel était son avis qui d’ailleurs est le bon. Je me rappelais avoir vu, au musée des copies organisé par Jules Simon, une reproduction de « la Ronde de nuit » plus rembrandtesque que l’original même, si l’on peut dire, dont l’auteur était précisément Antoine Vollon, le maître des cuirasses et des casques. Je connaissais encore, sous sa signature, des paysages d’une lumière digne du Lorrain, et rien ne m’avait fait oublier cette pêcheuse du Pollet, de grandeur naturelle qui, pour l’éclat vivant de sa carnation laissait loin Gustave Courbet et atteignait à Rubens.

— Alors elle vous plaît, sourit-il, cette débâcle de la Seine ? — Et sans attendre ma réponse : — Je l’ai prise sur la berge, au milieu des débardeurs, à