Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/157

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où neigeait la manne des acacias en fleurs, barrées de lilas sauvages, et mamelonnées de murs à demi écroulés que reprenaient victorieusement les pariétaires cristallisées par la rosée. Nous longions des tonnelles de treillages brodées d’ombellifères, d’antiques masures contemporaines au moins des Ordonnances, des poulaillers cocoriquants, des fumiers d’ocre et de bitume, des hangars aux carrioles dressées, des pavillons de garde désaffectés, des bâtis indécis, des cours d’auberges à rouliers, des bouchons aux enseignes facétieuses, des « renommées de lapin sauté » où, pareilles à des grenadiers abattus par la bombe meurtrière, les quilles gisaient près de la boule, éventées par l’escarpolette. Au tournant, nous débouchions sur le mirage éblouissant de cent, deux cents miroirs d’Archimède qui étaient les châssis de verre des maraîchers pépiniéristes, flamboyant au lever du soleil. Et là dedans l’air léger du matin, aérant les tons et les formes, sous un ciel gris perle qu’ouataient de petites nuées rosâtres frangées d’azur, gaies comme une sortie d’école de filles.

— Eh bien, me disait mon guide, en veux-tu-en-voilà des Daubigny, des Corot, des Diaz, des Rousseau et des Charles Jacques.

— Et des Antoine Vollon, fis-je, car selon votre promesse, j’ai hâte de vous voir peindre.

— Oh ! moi, c’est bien simple. Je ne choisis pas, je m’assieds n’importe où. Tout est beau dans la nature, tout y fait paysage, même sous la pluie et dans le brouillard. Vous allez voir. Tenez, cette ruelle qui descend à la Seine, elle est superbe dans sa lumière. Une, deux, trois, à l’abordage.

Il vida cinq ou six tubes, pas plus, sur sa palette,