Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/158

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et en quelques coups de brosse il établit l’assiette du motif, à droite et à gauche, avec une sûreté de dessin prodigieuse. Puis, du manche de la brosse, il délimita les contours de la pâte même, et il les fondit en valeur avec l’ongle de l’index, comme au polissoir. Cela fait, il pétrit du couteau à palette un bloc de matière colorée qu’il dosa en véritable alchimiste, il l’étala sur le haut et dans le travers de la toile, jeta le couteau et, du gras du pouce, il modela le ciel argenté, avec ses petites nuées dansantes, comme on caresse une soie ou des cheveux blonds d’enfant, puis il y mit toute la main en riant de mon effarement. — On n’obtient de bon ciels que comme ça, croyez-moi, affirmait-il. Je l’ai appris de Ruysdaël, en Hollande. Mais le maître des murs ensoleillés, ce n’est pas Decamps, c’est Van der Meer. Je ne sais pas comment il eût rendu celui de cette vieille baraque lépreuse et cabossée que vous avez là, sous les yeux, mais il y a manière.

Et ramassant un plâtras sous ses pieds, il l’enduisit d’un mélange d’ocre et de blanc bleuté et se mit à crépir, c’est le mot, la baraque à la façon des ornemanistes.

— Et, à présent, allons déjeuner, s’écria-t-il en repliant bagage : — Pas une tache, vous voyez ! Mes élèves s’en fourrent eux, jusque dans la barbe. Ne fait pas du Vollon qui veut !

Un franc rire à la fois narquois et bon enfant égayait ses yeux et ses lèvres. Il dressa les mains au-dessus de la tête, comme un prestidigitateur après son tour d’escamotage, les essuya à une touffe d’herbe, les savonna d’une motte de terre broyée, et il m’emmena au bord de la rivière. Je lui avais offert