Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/162

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tinta le glas à deux cloches — ou : de tordre le col au périodique, ou : de chercher des actionnaires, et surtout d’en trouver. — Sont-ils aussi rares que les usuriers ? demandai-je. — Plus, dit l’expert au pourchas des Gobseck. Du reste, reprit-il, en mettrais-tu, toi, de l’argent, si tu en avais, dans La Vie Moderne ?

J’y avais mis mieux que de l’argent, et je le fis observer, non sans une pointe d’émotion, à mon vieil ami que la fréquentation des Naturalistes commençait à rendre pratique.

Il est probable désormais que je m’en irai de ce monde sans en avoir compris le mécanisme et je m’y résigne. Mais de la transformation du Zizi de la bohème ternoise en l’éditeur homme d’affaires qui en était venu à railler mon impécuniosité, l’avatar me fut assez amer. Si j’avais été sage, j’aurais écouté dès ce moment la première cloche du glas, et, lâchant la fortune, je serais retourné au Pinde dénudé des neuf bonnes pies ou piérides, mes chères maîtresses d’école. Allons, soupirai-je, à la chasse aux actionnaires !

Je n’en avais jamais vu, et pour cause ; je n’imaginais même pas de quel bois, corne ou métal, ils étaient faits, s’ils avaient le million ostensible et visible et comment on pouvait distinguer sur le trottoir l’homme qui « actionne » de celui qui « n’actionne » pas. — Mon cher ami, m’avait dit Théodore de Banville, il y a un signe auquel vous ne pouvez pas vous tromper une minute : l’actionnaire a toujours le nez grand et recourbé. Dès que vous en verrez un, bondissez sur lui comme un tigre et dévorez-le. Il n’y a pas d’autre manière. — Et le poète