Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/163

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avait ajouté au signalement un renseignement plus sûr encore. — Ils demeurent tous rue Louis-le-Grand, probablement en souvenir du Roy Soleil.

Ce qui avait convaincu Banville que tous les actionnaires demeuraient rue Louis-le-Grand comme sur les rives du fleuve Pactole, c’était que son ami Victor Borie, y menait une banque « sans lâcher la lyre ». Victor Borie, homme prodigieux et doux, en qui Orphée s’unissait à Barème, fut donc l’objet de ma première démarche. Or, il n’avait le nez ni grand ni recourbé, au contraire, et dès les premiers mots il s’inscrivit pour dix actions de cinq cents francs à la Société anonyme de La Vie Moderne. Je revins brandissant cette souscription comme un conscrit agite au vent le bon numéro qui le libère.

— Tu vois, dis-je à Georges, je draine l’or.

Je ne puis dire, ne l’ayant jamais vu, si le nez de Raphaël Bischoffsheim répondait à la description signalétique de Théodore de Banville, puisque son adhésion me parvint par la poste, mais je jure que celui d’Adolphe Gaiffe était le plus droit et le plus japhétique du monde au milieu du visage bénévole de mon troisième actionnaire.

Exalté par de tels résultats, où se manifestait au moins la sympathie de francs parisiens de Paris que les choses du boulevard amusent, l’ambition me prit de décrocher les grosses timbales sonores. — Si je me jetais en pleine finance, proposai-je à l’administrateur. — Jettes-y-toi, approuva-t-il. La Vie Moderne n’a pas de bulletin de Bourse. C’était sa force, c’est sa faiblesse.

— Nous pactisons alors avec l’iniquité ?

— Tu en as de bonnes ! Avec le diable s’il le faut !…