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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/187

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courir à une rebuffade certaine, tombât-on sur un affamé. Au bout de quelques tentatives, assez rudement rembarrées et pour cause, j’allais prendre le parti de ne pas rentrer au banquet et de le réduire ainsi, à la douzaine de couverts salutaire lorsque la fortune me mit en contact avec un jeune tourlourou en permission qui béait aux arômes culinaires de notre hôtel-restaurant, comme le Gringoire même du poète.

Lorsque, en quelques mots, je l’eus mis au courant du service que des écrivains célèbres de Paris sollicitaient de sa bonne grâce, il se prit à rire en se dandinant. — Gustave Flaubert ? connais pas. Qui est-ce ? Et il fit d’abord volte-face. Puis il revint et me demanda si, parmi ces écrivains illustres, François Coppée était des nôtres. C’était l’homme qu’il désirait le plus voir et approcher. Il savait par cœur sa Grève des Forgerons, il la débitait toujours avec succès aux camarades et ne tenait rien de plus beau au monde. Nous étions sauvés. Je lui promis non seulement de le présenter à Coppée, mais encore d’obtenir de lui une photographie qu’il lui dédicacerait. Et j’amenai mon quatorzième.

Ce fut simplement du délire. Théodore de Banville s’était précipité au devant du troubade, il lui pressait les mains, lui donnait du cher enfant et jurait de le recommander au ministre de la guerre. On le força à prendre la présidence du repas entre l’auteur de Gringoire et l’auteur de La Grève des Forgerons, et ce dernier ne laissa pas vide un seul instant le verre de son admirateur.

J’ai honte de le dire, mais si le tourlourou ignorait jusqu’au nom de Flaubert, nous avions nous-mêmes,