Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/203

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peinture plus claustrale, plus médiévale que ce premier peintre de la reine, et il n’y a que des tableaux de sainteté à faire dans un studio Fra-Angeliquesque où tous les outils d’art sont en place comme dans un établi.

John Everett Millais devina notre inquiétude, tira le voile de la baie et nous mena derrière un petit divan bas où s’étalaient pour sécher, quatre dessins à la plume, destinés à une illustration de La Foire aux Vanités de Thackeray, dont il exécutait la commande. Ils étaient du plus franc naturalisme et composés, à n’en pas douter, sur des croquis pris à travers les rues, par les ponts, les squares, les public houses, en pleine vie londonienne. De Nittis en admira jusqu’à l’extase une scène lumineuse où une petite fille relevait sa manche sur son bras pour lever un gros arrosoir sensiblement trop lourd pour elle, si bien que ravi de notre enchantement, le maître voulut nous montrer ses albums de notes, en détacha deux feuillets qu’il m’offrit et que j’ai encore.

Je ne les eusse point échangés contre la toile qu’il avait ce jour-là sur le chevalet et qui mettait en scène la fille de Charles 1er  écrivant aux juges de son père pour les attendrir. Millais a eu plusieurs manières avant celle qui assura sa gloire, id est : la manière franchement anglaise par où il s’affilie à Reynolds, Lawrence et Gainsborough, car non seulement l’art a une patrie, mais rien n’a plus de patrie que l’art. Mais en ce tableautin d’histoire anecdotique, le crochet vers Paul Delaroche n’était pas heureux, et c’est un accident bourgeois que de donner un pendant aux « Enfants d’Édouard », de lithographique souvenance.