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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/207

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maharadjahs par le prince de Galles », la demande enfin de son volume, huilèrent les gonds, et, après nous avoir quittés un instant, Prinsep revint nous prendre pour nous conduire au patron.

Il nous attendait dans son jardin, sous un hangar, où il chevronnait de cercles et de pieus une énorme masse de glaise modelée, ébauche d’une statue équestre. Presque tous les artistes anglais sont à la fois peintres et statuaires, ils ont la coquetterie de cette dualité, et Watts n’était pas fâché de nous apparaître en Michel-Ange, dans la blouse ouvrière du praticien et les mains gluantes.

C’était un petit sexagénaire, maigre, frêle, à chevelure blanche, mais vivace et libre au vent. À ses mouvements élastiques on le sentait tout en nerfs. Il ressemblait à s’y méprendre à notre Jules Dupré, le paysagiste romantique, jusque dans la coupe de sa barbe en pointe, mais les yeux au regard flottant, étaient d’un visionnaire. Ils me frappèrent extrêmement par leur extralucidité somnambulique.

À l’encontre du géant de Palace Gate, Watts parlait couramment notre langue, et aussi celle de Nittis. — J’ai longtemps vécu en Italie, lui dit-il, et j’y ai fait mon apprentissage. Mes maîtres préférés ont longtemps été Titien et le Véronèse. — Est-ce qu’ils ne le sont plus ? hasardai-je. — Londres n’est pas Venise, fit-il. Venez.

Et d’un pas rapide il nous précéda à son atelier, un atelier tout en long, où le jour venait on ne sait d’où et s’accrochait on ne sait comment aux mille objets d’un véritable capharnaüm. Je n’ai jamais eu nulle part telle sensation d’un antre de sorcellerie. L’encombrement d’ailleurs des choses accumulées