Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/210

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— Et puis, vois-tu, reprenait-il, ce Watts est particulièrement lugubre en ceci que sa Mort, à lui, ne s’en prend qu’à la beauté, à la jeunesse, à l’amour et à la joie des choses. Holbein rigole dans sa danse macabre ; Albrecht Dürer est héroïque ; Orcagna fulgure au Campo Santo, comme le Dante ; Valdés Leal est Espagnol et inquisitorial, il fond sur le rouge ; mais, cet Anglais, il lui faut des vierges, des enfants et des fleurs. C’est un faneur de roses. Veux-tu me dire en quoi il peut être amusant de suspendre un nouveau-né livide à la mamelle sèche de la Camarde drapée d’ailleurs à l’antique ? Génie, soit et entendu ; mais, si la vie l’embête, pourquoi peint-il ? — Il y a les portraits, disais-je, et ils sont superbes. — Ils ont l’air d’être posthumes. Viens, j’en ai assez.

Et comme il me tirait vers la porte, un jeu de lumière frisante illumina dans la pénombre une apparition véritable, surnaturelle. Entre les ais d’un vieux cadre dédoré, un archange à tête hybride, cuirassé comme un saint Michel, transparent et volatil, s’élançait sur nous la lance en arrêt. Sa chevelure éparse semblait formée des rayons mêmes qui l’éclairaient et ses yeux phosphorescents dardaient la colère céleste.

— L’ange de la mort frissonna de Nittis.

Il n’y avait plus qu’à s’enfuir, — ce que nous fîmes, et telle fut notre visite à George Frederic Watts, le maître de la Mort.

— As-tu remarqué, fis-je, dans le cab, à mon compagnon, que non seulement il ne flotte robes de femme ni d’enfant dans le home de ce sexagénaire hoffmannesque, mais qu’il n’y a ni chien ni chat autour de lui et que pas un oiseau ne chante ou vole dans les arbres de son morceau de Bois de justice ?