Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/241

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Peut-être les Michelet et les Balzac de l’avenir ne se priveront-ils qu’à tort des documents tout vifs que les recueils de chroniques des Rochefort, des Scholl, des Wolff et des Fouquier ont laissés à leurs génies d’évocateurs. Il y a là des matériaux déjà sculptés de main experte, d’après nature, et prêts à être dressés dans le temple de Mémoire.

Nombre de bons écrivains, qui partout ailleurs font florès, se sont essayés à la chronique sans réussir à s’y imposer, et, vraiment, on ne sait pourquoi, car ils ont tout l’esprit nécessaire à la réussite.

Peut-être en est-il là comme en toutes choses : il faut croire à ce que l’on fait. Un art que l’on juge subalterne ne rend rien à la main qui l’exerce du bout des doigts. Dans tout chef-d’œuvre, il y a un acte de foi.

Si Mme de Sévigné avait douté de « la lettre » elle n’en eût point créé le genre ni laissé de modèles. Il arrive que des petits maîtres ont la vie plus dure que les grands. N’en cherchez point la raison ailleurs que dans leur amour pour leur modeste besogne.

Albert Wolff, qui était Allemand, et n’avait rien des dons innés où se signe l’écrivain de notre langue, poussait la chronique jusqu’au martyre. Comme il savait qu’elle est un article-Paris, on le voyait tous les jours, debout entre deux kiosques, renifler l’air générique du boulevard. Il avait fini par s’en imprégner les méninges, et le labeur aidant, il a tracé des « pages » tout comme un autre.

Si l’esprit est le don du chroniqueur, la première preuve qu’il doit en fournir est de ne pas s’illusionner sur la portée ni la durée de sa petite homélie