Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/268

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« Dame » et de ces Barrière et Thiboust qui, l’un, a perdu Page et l’autre Constance, dont Dieu a les âmes, s’il est juste. Et tout ça pour des rôles, quand on y pense ! Oui, oui, oui, les duchesses sont plus heureuses, mais les mères de famille aussi, Alice, et même la mère Gigogne.

Je ne suis pas du temps où cette comédienne florissait. Je ne l’ai vue que chenue et sexagénaire, à l’hôtel Drouot, où elle suivait les ventes mobilières. C’était une petite vieille rondelette, bruyante, gesticulante et vêtue de robes assez tapageuses. Elle ne voulait pas qu’on ignorât qui elle était et coquetait encore avec la gloire. À son nom chuchoté par les habitués, elle se retournait, souriait et saluait, comme au théâtre. — Eh bien, oui, semblait-elle dire, c’est moi ! Que voulez-vous ? Telle est la vie. Mais on se défend ! — Et elle se défendait en effet, assurait la chronique du temps. Jadis dessinée par Roger de Beauvoir en bacchante, et levant deux coupes tendues, avec cette légende dionysiaque : « Ozy noçant les mains pleines », elle achevait son rêve d’après Ronsard, conformément au conseil qu’il donne en son sonnet à Corisande. Dans les achats d’art qu’elle faisait pour sa maison du lac, l’Elvire restait d’ailleurs fidèle à tous ceux qu’elle avait aimés et à qui elle avait donné — voir la lettre — « non pas une heure en passant, mais une année et plus », de telle sorte que sa galerie de Romantiques était complète.

Je me rappelle de quel face-à-main elle me foudroya, un jour où, dans une salle du Drouot, elle m’entendit appeler par un ami et connut ainsi l’imbécile qui avait mis au jour la page de prose dorée, d’où lui viendra pourtant l’honneur de sa carrière